MÉMOIRE | Présenté dans le cadre du projet de loi 109, accordant le statut de capitale nationale à la Ville de Québec et augmentant à ce titre son autonomie et ses pouvoirs

Préambule

Fondée il y a plus de 200 ans,  la Chambre de commerce et d’industrie de Québec (CCIQ) défend avec ardeurs les intérêts de ses membres au chapitre des politiques publiques qui favorisent un environnement d’affaires innovant et concurrentiel. La Cambre de commerce et d’industrie de Québec regroupe plus de 4 500 membres de la communauté d’affaires de la grande région de Québec provenant de tous les secteurs de l’économie. Elle constitue le plus important regroupement de gens d’affaires de l’Est du Québec. La CCIQ poursuit la mission d’être la voie privilégiée des entrepreneurs de Québec et propose à ses membres une offre de services complète de soutien, d’accompagnement de reconnaissance et de représentation économique.

 

En juin 2016 le gouvernement du Québec présentait le projet de loi 109, Loi accordant le statut de capitale nationale à la Ville de Québec et augmentant à ce titre son autonomie et ses pouvoirs. Afin d’apporter une contribution à la réflexion ainsi qu’à la consultation sur ce projet de loi, la CCIQ  a effectué diverses actions :

  • Elle a procédé à une consultation auprès de ses membres via ses comités d’action bénévole;
  • Elle a mandaté une firme, Aviseo conseil, afin de réaliser une nouvelle étude sur la structure économique de la RMR de Québec;
  • Elle s’est associée à l’Institut de développement urbain (IDU) afin de consolider une réflexion commune sur certains enjeux entourant le projet de loi 109. 

 

Outillée de ces informations, la CCIQ  présente un mémoire qui porte principalement sur les éléments suivants du projet de loi :

  • Le statut de capitale nationale
  • Le Fonds de la capitale nationale et ses régions
  • Le pouvoir général de taxation

 

Statut de capitale nationale

La CCIQ salue les précisions qui ont été apportées dans le cadre du projet sur la charte de la Ville de Québec. Elles confirment le statut et les attributions de la ville dans son rôle de capitale nationale. Le projet de loi 109 reconnait également la Ville de Québec  comme le berceau de la francophonie en Amérique du Nord. Notre ville, riche de son histoire et de son patrimoine reconnu mondialement, doit devenir le lieu prioritaire pour la tenue de rencontres politiques et diplomatiques, d’accueil des dignitaires étrangers ainsi que des sommets gouvernementaux. Il est important que Québec soit également le lieu de négociations importantes, de toute nature, auxquelles prend part le gouvernement du Québec. Les activités gouvernementales représentent toujours 14 % du PIB de la région de Québec. La réaffirmation concrète, du rôle et des fonctions politiques et diplomatiques de capitale nationale dans le cadre des activités gouvernementales ne peut qu’avoir un impact collatéral positif sur l’économie de la région.

 

L’économie de la capitale et ses grands enjeux

Nous croyons qu’il est important, dans le cadre des discussions entourant le projet de loi 109, de présenter une mise à jour du portrait économique de la RMR de Québec afin de mieux saisir la diversité de l’économie de la région, qui est de façon générale plutôt méconnue. Certains secteurs stratégiques sont souvent sous-estimés dans l’analyse de  la croissance économique de notre région. Ces secteurs stratégiques de notre économie méritent d’être repositionnés sur le radar politique dans le cadre des réflexions qui nous concernent aujourd’hui.   

 

Une récente étude économique menée pour le compte de la CCIQ et l’IDU par la firme Aviseo Conseil, vient mettre en lumière toute la diversité économique de la RMR de Québec. (voir le tableau en annexe)

 

En voici quelques faits saillants. Le PIB de la RMR de Québec représente 38,6 milliards $ en 2015 avec un taux de croissance annuelle composée (TCAC) de 1,9 % entre 2005 et 2015. La région comptait 442,8 milliers d’emplois pour la même période, soit un TCAC de 1,5 % entre 2005 et 2015.

 

Quatre grands secteurs stratégiques font office de locomotive pour l’économie de la RMR de Québec, avec plus de 40 % du PIB. Sans grande surprise, les assurances et services financiers représentent un de ces grands secteurs avec 3,8 milliards $, 10,1 % du PIB avec un TCAC de 4,4 % entre 2010 et 2015. Il est toutefois important de souligner que les services immobiliers ont maintenant le même poids que les assurances et services financiers, avec 3,9 milliards $, 10,2 % du PIB. Les secteurs stratégiques de la fabrication et du commerce de détail et de gros ne sont pas en reste, avec un PIB de 3,9 milliards $ et de 4 milliards $. La fabrication se démarque avec le plus haut TCAC de toute l’économie de Québec, à 5,9 % entre 2010 et 2015 et 40 000 emplois. Le commerce de détail et de gros représente à lui seul 16,9 % de l’emploi de la région avec 74 000 emplois.

 

Même si les trois niveaux de gouvernements (municipal, provincial et fédéral) occupent une place importante avec un PIB de 5,5 milliards $ (14,3 % du PIB total) et ses 45 500 emplois (10,3 % du total), ils ne représentent plus un facteur fondamental de croissance pour la région. La région de Québec n’est donc pas seulement une capitale politique, mais également un pôle économique majeur pour le Québec.

 

Nous pouvons affirmer que la région se porte bien économiquement. Par contre, elle fait face à plusieurs enjeux. En tenant compte de l’évolution démographique, du faible taux d’immigration, des problèmes dans l’adéquation entre la formation  et les besoins actuels et futurs du marché de l’emploi, tous les intervenants sont unanimes pour dire que  l’enjeu de la  pénurie de main-d’œuvre est un problème majeur. Un phénomène qui n’ira  qu’en s’accentuant pour la capitale au cours des prochaines années. Malgré des indicateurs économiques qui sont favorables aujourd’hui, l’enjeu de la main-d’œuvre représente un des principaux défis de croissance de nos entreprises.

 

La croissance économique qu’a connue la RMR de Québec au cours des 25 dernières années a entrainé d’autres défis également pour la région, notamment en matière de mobilité des biens et des personnes. Problématique de congestion routière sur les heures de pointe, déplacement des gens d’affaires vers les différents marchés au Québec comme à l’international, difficultés d’accès vers les axes stratégiques de la ville (centre-ville, Ste-Foy Laurier et Université Laval, Lebourgneuf, les parcs industriels) sont quelques exemples qui préoccupent la communauté d’affaires. La mobilité des biens et des personnes est un vecteur de développement économique essentiel. Cet enjeu doit être résolu à très court terme et cela doit passer par des actions concrètes basées sur un plan global de mobilité pour la région. 

 

La mondialisation représente un autre défi pour tous les secteurs d’activités économiques. La région de Québec n’est pas à l’abri des nouveaux modèles d’affaires qui ont chambardé plusieurs entreprises d’ici et d’ailleurs. Les entreprises qui n’arriveront pas à s’ajuster rapidement à ce nouveau phénomène disparaitront. Pensons aux industries du disque, du livre, des médias papiers, du commerce de détail et plus récemment de l’hôtellerie ainsi que celle du taxi, où des entreprises étrangères font des affaires chez nous occasionnant une nouvelle concurrence dans des secteurs économiques que l’on croyait stables il y a à peine quelques années. C’est pourquoi le virage numérique devient maintenant une obligation afin d’assurer la pérennité de nos entreprises tout en optimisant leurs façons de faire. Le numérique ne doit plus être considéré uniquement comme un secteur d’activité en soit, mais aussi comme une approche que doivent intégrer toutes les entreprises, au même titre que les ventes, la production ou l’administration et ce, à l’intérieur même de leurs processus d’affaires. L’enjeu du virage numérique c’est beaucoup plus qu’avoir un site Internet.

 

Un fonds de la capitale nationale et de ses régions

Dans le cadre de la réflexion sur le projet de loi 109, il est crucial de mettre en lumière cette nouvelle analyse de la diversité économique de Québec, ainsi que les enjeux auxquels elle doit faire face. Le projet de loi 109 octroie de nouveaux pouvoirs à la Ville de Québec en matière de taxation et de développement économique. Ces nouveaux pouvoirs ne doivent pas venir freiner les grands secteurs économiques de la région qui sont les locomotives de notre économie. Ils doivent plutôt permettre de supporter, par leur application, une approche innovante en matière de développement économique.

 

Notre développement régional passe par le dynamisme de ses PME. Ce sont surtout les petites entreprises de moins de 100 employés, particulièrement dans les secteurs du commerce de gros et détail ainsi que de la fabrication qui font face aux grands défis que représentent la main-d’œuvre, la mobilité des biens et des personnes et le virage numérique. Le rôle des pouvoirs publics devrait être tout d’abord de leur faciliter la vie afin de permettre la croissance de ces PME moteur de l’économie régionale.  

 

La grande majorité de ces entreprises n’a pas toujours un accès facile aux différents programmes et mesures gouvernementales de soutien. Selon la Fondation de l’entrepreneurship, seulement 18 % d’entre elles utilisent des programmes publics. Plusieurs de ces services et programmes s’adressent principalement au démarrage d’entreprises et ont des objectifs qui ne correspondent pas aux grands besoins des PME identifiés précédemment.

 

D’autre part, certaines mesures publiques peuvent être inéquitables pour les petites entreprises. Les crédits d’impôt favorisent souvent les plus grandes entreprises qui sont directement ou indirectement en concurrence avec nos PME pour la main-d’œuvre par exemple. Les plus petites entreprises n’y ont souvent même pas accès.

 

La création d’un fonds de la capitale nationale et de sa région ayant pour objectif de contribuer au développement économique local représente une excellente initiative. La réflexion présentée en amont milite toutefois en faveur de la création d’un fonds accompagné d’un cadre stratégique clair, permettant de répondre aux véritables besoins de nos PME et de notre réalité économique. Nous croyons qu’il s’agit ici d’une belle opportunité d’innover sur les façons de faire et sur le financement public en matière d’intervention en développement économique, avec des mesures s’adressant à des secteurs stratégiques et à un plus grand nombre d’entreprises.

 

L’assouplissement des règles administratives, l’accompagnement spécialisé sur les principaux enjeux ainsi que des mesures spécifiques en matière de mobilité devraient faire partie du plan de développement économique.

 

Le pouvoir général de taxation 

Les dispositions du projet de loi donnant de nouveaux pouvoirs fiscaux à la Ville de Québec sont calquées sur celles incluses dans le projet de loi 22 qui octroyait ces mêmes pouvoirs, que l’on peut qualifier de résiduaires, à la Ville de Montréal en 2008. La Ville de Montréal a choisi de taxer les stationnements, à ciel ouvert ou intérieurs, ce qui a suscité une mobilisation importante des milieux d’affaires de la métropole. Ces milieux argüaient à l’époque que cette taxation supplémentaire à l’activité économique – le stationnement étant le prélude à une activité économique (travailler, commercer, etc.) affecterait négativement la compétitivité fiscale de la métropole et risquerait de nuire à son centre. Quelques années plus tard, le temps leur a tristement donné raison, à un point tel que la ville a mandaté un comité pour se pencher sur la compétitivité fiscale de Montréal qui recommandait entre autres de maintenir l’augmentation moyenne des comptes de taxes non résidentiels à la moitié des comptes de taxes résidentiels. La Ville de Montréal, devant les problèmes importants de son centre des affaires, a cru bon de développer une stratégie pour le relancer. Il aurait été bon, probablement, de ne simplement pas instaurer une nouvelle taxe aussi néfaste.

 

Par ailleurs, et c’est là où le bât blesse le plus, le libellé emprunté au projet de loi 22, lui-même emprunté au projet de loi ayant donné des pouvoirs similaires à Toronto, est extrêmement complexe et ne permet pas un débat démocratique éclairé sur la pertinence, ou non, de taxer davantage les contribuables de Québec. En fait, on ne sait d’aucune façon quel type de taxe pourrait être ajouté au fardeau fiscal existant, ni les contribuables qui seraient touchés, ni le niveau de taxation qui serait ajouté sur leurs épaules. Dans le débat entourant l’adoption de la loi 22, nous apprenions que la ville pourrait, par exemple, lever une taxe municipale sur un bien meuble (comme une piscine) ou imposer un régime de redevances règlementaires (par exemple un tarif appliqué aux voitures plus polluantes). Par ailleurs, en 2008, Toronto a imposé une nouvelle taxe annuelle sur la possession de véhicules, soit de 60 $ pour les automobiles, 30 $ pour les motos et 0 $ pour les véhicules commerciaux. Toutefois, le maire Rob Ford élu en novembre 2010 a renoncé à cette taxe de 60 $ par véhicule.

 

Le pouvoir de taxer, dans une société, n’est pas un pouvoir sans conséquences. Il fut du fondement même de nos sociétés modernes. Il ne faut donc pas le prendre à la légère et offrir à tout vent ce pouvoir, sans aucune balise. Et de balises, le projet de loi actuel, n’en contient pour ainsi dire aucune. Du moins aucune qui assurerait l’application juste de nouveaux pouvoirs indéfinis dans le projet de loi. Par exemple, on ne se pose pas la question des impacts économiques liés à l’instauration d’une nouvelle taxe. Le projet de loi ne stipule pas que la ville devrait réaliser une étude d’impact économique avant d’imposer une nouvelle taxe. De même, le projet de loi ne s’intéresse pas à l’équité entre les types de contribuables. Pourtant, l’IDU et la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, notamment, ont fait par le passé la démonstration que les contribuables non résidentiels ont vu leur contribution augmentée de manière continue relativement aux contribuables résidentiels. Évidemment, les services municipaux offerts aux propriétaires non résidentiels n’ont pas augmenté. Une très courte visite des parcs industriels suffira pour vous en convaincre (peu ou pas de transport en commun, voirie dans un état de décrépitude avancé, etc.).

 

Dans ce contexte, la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, et l’Institut de développement urbain du Québec, ne sont pas favorables à ce que soient octroyés ces nouveaux pouvoirs à la Ville de Québec, à moins que des balises claires l’accompagnent, ce qui n’est pas le cas actuellement.

 

Recommandations

1)      Que la création du fonds de la capitale nationale et de ses régions soit accompagnée d’un cadre stratégique clair, concernant les sommes publiques qui seront dédiées au développement économique, afin que celles-ci permettent de répondre aux véritables besoins de nos entreprises ainsi qu’à notre réalité économique;

 

2)      Que le cadre d’utilisation des sommes publiques qui seront dédiées au développement économique de la région soit accompagné d’un processus de consultation des différents acteurs des secteurs économiques stratégiques et d’entrepreneurs de PME (à l’instar du nouveau comité consultatif sur l’économie et l’innovation du MESI), notamment concernant les grands enjeux que sont la main-d’œuvre, la mobilité des biens et des personnes, et le virage numérique;

 

3)      Que des balises claires accompagnent tous nouveaux pouvoirs de taxation. Il faut s’assurer d’une application juste de ces nouveaux pouvoirs, notamment en ce qui concerne les impacts économiques liés à l’instauration de nouvelles taxes.