Lettre ouverte
Représentant plus de 6 200 membres et 1 800 entreprises, centres de recherche et établissement d’enseignement, la Chambre de commerce et d’industrie de Québec (CCIQ), la Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis (CCIGL) et Québec International (QI) lancent un énième signal : l’importance cruciale de l’immigration comme levier de développement économique et démographique. Cette prise de position commune précède la consultation gouvernementale sur la planification pluriannuelle de l’immigration 2026-2029 au Québec, alors que l’urgence d’agir n’a jamais été aussi évidente. Rappelons que nous avons aussi multiplié les représentations dans les derniers mois auprès du gouvernement fédéral afin d’obtenir un moratoire sur les nouvelles restrictions et une clause grand-père pour protéger les travailleurs étrangers temporaires, tout comme les étudiants déjà établis dans nos régions.
Une situation démographique sans précédent qui exige une réponse ambitieuse
Les chiffres sont sans appel : le Québec traverse un virage démographique historique. En 2024, le nombre de décès (78 800) a dépassé celui des naissances (77 400), marquant un déficit naturel de 1 400 personnes. Avec un taux de fécondité qui est bien en deçà du seuil de remplacement, 99 % de la croissance démographique provient désormais de l’immigration.
Dans la région de Québec-Lévis, cette réalité se traduit par des défis concrets : un taux de chômage de 3,9 % pour l’année 2024 dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec et un taux de seulement 2,8 % en Chaudière-Appalaches sur la même période, témoignant d’un marché du travail en surchauffe. Plus préoccupant encore, en 2024, nous comptions seulement 83 jeunes pour 100 futurs retraités en Capitale-Nationale, et 73 pour 100 en Chaudière-Appalaches, créant un déficit de relève structurel.
Face à cette urgence, nous rejetons catégoriquement les scénarios gouvernementaux proposant entre 25 000 et 45 000 admissions permanentes annuelles. Ces seuils, largement insuffisants, compromettraient durablement la vitalité économique de notre région. Nous appuyons plutôt le scénario médian de l’Institut du Québec, qui prévoit 60 000 admissions permanentes annuelles, avec une phase de transition permettant une gestion équilibrée des flux migratoires.
Des secteurs névralgiques en péril
Du côté du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), avec plus de 13 170 permis actifs au 31 décembre 2023 sur le territoire combiné de la Chaudière-Appalaches et de la Capitale-Nationale, ces travailleurs génèrent un impact économique significatif au sein des entreprises qui les embauchent. Les nouvelles restrictions fédérales de septembre 2024, plafonnant à 10 % les travailleurs temporaires à bas salaire, menacent directement nos secteurs agroalimentaires, manufacturiers et touristiques. Ces mesures forcent déjà des entreprises locales à refuser des contrats.
Dans la région de Québec-Lévis, les pénuries touchent particulièrement la santé, l’éducation et la construction, représentant 30,5 % de la main-d’œuvre régionale. Le nouveau complexe hospitalier du CHU de Québec nécessitera, à lui seul, 500 emplois supplémentaires, tandis que le secteur de la construction anticipe un besoin de 2 500 nouveaux salariés par année pour répondre notamment aux 15 G$ d’investissements en infrastructures annoncés.
L’impact dépasse le cadre strictement économique : 82 % des centres de formation professionnelle rapportent une baisse des inscriptions d’étudiants internationaux, compromettant le démarrage de programmes essentiels en mécanique, en électromécanique et en soins de santé. Il s’agit du même son de cloche du côté de nos institutions d’enseignement collégiales et universitaires.
Une régionalisation équitable et stratégique
Nous réclamons une vraie régionalisation avec une allocation minimale de 15 % des admissions permanentes pour la région de Québec-Lévis, reflétant notre poids démographique et économique, ce qui permettrait de corriger le déséquilibre actuel alors que notre région reçoit une part inférieure à son poids démographique. La régionalisation est effectivement essentielle : elle permet de soutenir nos PME, de répartir plus équitablement les nouveaux arrivants et d’assurer que la vitalité démographique et économique ne repose pas uniquement sur Montréal.
Des mesures urgentes pour préserver notre compétitivité
Nos entreprises sont en péril devant ces décisions. Chaque quota arbitraire ou réduction soudaine se traduit par des pertes de contrats, des retards dans les livraisons, des investissements reportés et parfois, des fermetures. Dans une région où plus de 50 % des entreprises comptent moins de 5 employés, ces contraintes frappent particulièrement fort nos micro-PME, moteurs de l’économie locale.
Parmi nos recommandations, nous demandons de :
1. Rétablir le seuil de 20 % de travailleurs temporaires à bas salaire pour les régions avec un taux de chômage plus bas que 6 %.
2. Retirer l’imposition de quotas de travailleurs temporaires pour les professions en rareté de main-d’œuvre (liste des professions admissibles au traitement simplifié).
3. Mettre fin au gel du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) pour faciliter la transition vers la résidence permanente.
4. Protéger les formations techniques et professionnelles menant aux métiers en pénurie, particulièrement celles qui sont réglementées.
L’urgence d’une vision à long terme
Sans action immédiate, nous risquons de compromettre les grands chantiers économiques annoncés : projets d’infrastructure, expansion du secteur de la santé et du secteur maritime, et développement technologique. La région de Québec-Lévis, qui a accueilli plus de 40 000 nouveaux arrivants depuis 17 ans, dispose des atouts nécessaires pour maintenir ce leadership : écosystème d’innovation dynamique, institutions d’enseignement de calibre international, marché du travail favorable et qualité de vie reconnue.
L’immigration n’est plus une option, mais une nécessité vitale pour préserver notre rang de deuxième pôle économique du Québec. Le temps des demi-mesures est révolu : l’avenir de notre région se joue maintenant.
Frédérik Boisvert
Chambre de commerce et d’industrie de Québec
Marie-Josée Morency
Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis
Carl Viel
Québec International